Né à Nice en 1960, Jo Kaïat se consacre
à la musique, territoire dont les limites ne sont que celles
que l'homme veut bien se donner.
Son odyssée sonore débute avec le jazz mais, très
vite, le swing se révèle insuffisant pour exprimer tout
ce qu'il possède en lui. Il se tourne alors vers Bela Bartok,
Olivier Messiaen, Stravinsky et les Impressionnistes. Il passe son adolescence
à triturer des accords à la recherche d'un mystère.
A 18 ans, il monte à Paris. Il y restera pendant cinq ans, le
temps de jouer avec Steve Potts, Oliver Johnson, Jean Jaques Avenel,
Georges Brown, Jean Yves Colson, Jeff Sicard... puis il retourne à
Nice où il poursuit ses activités musicales avec Barney
Wilen, Bibi Rovere, Jack Sewing
Avec Jo Kaïat il s'agit de voyager mais de voyager en profondeur,
il s'agit chaque fois de tenter de faire le tour de quelque chose. Ainsi
il poursuit ses recherches en matière d'harmonies en Israël
où il étudie la composition à l'Académie
Rubin, faisant d'une pierre deux coups, cette étape qui dure
six ans lui permet de retrouver quelque chose de ses racines tout en
approfondissant ses connaissances en matière de musique classique.
De la même façon quand il décide ensuite de creuser
un peu plus du côté du jazz, il passe deux ans à
New York où il joue avec des musiciens du Village et de Harlem
tels que Dennis Charles, Andy McCloud, Steve Neils, Clifford Barbaro,
Evelyne Blackey, Ernie Barnes, Duke Cleammons...
Fort de toutes ces expériences, Jo Kaïat est enfin prêt
pour l'Afrique, continent de ses origines, cur battant qui résonnait
tout contre le sien et qui l'appelait depuis toujours. Il se rend d'abord
au Maroc, où il joue avec les gnaAlas et les berbères,
puis il va au Mali et rencontre les bambaras qui deviennent sa famille
d'adoption. Depuis mi 1995, Jo Kaïat réside au Mali. Il
regagne la France en 2000.
Il y a deux piano en Jo Kaïat, le piano harmonique, mélodique,
et le piano rythmique, il aimerait même un jour concrétiser
cette dualité en jouant avec un autre pianiste. En attendant
de pouvoir réaliser ce rêve, ses deux premiers CD
incarnent totalement ce double aspect de son jeu autant que de sa personnalité.
D'un côté le trio de Bamako avec ses deux percussionnistes
maliens, Cheick Fantamady Kone au Doum-Doum (né 1975 à
Bougouni) et Ousmane Keita au Djembe et au Kamélin n'goni (né
en 1973 à Bamako), lui permet de tirer parti de toutes ses recherches
en matière de rythme. De l'autre le trio de Delhi avec Johar
Ali Kahn au violon (fils et disciple du dernier Ustad Gohar Ali Kahn
de Rampur) et Shabaz Hussein Kahn aux tabla (pakistanais, du Penjab,
de la même famille que Johar), lui fournit l'occasion de dialoguer
avec les modes indiens au sein de mesures composées, plus complexes
rythmiquement.
Sur ces deux projets, il cherche, en puisant dans son vocabulaire musical,
les mots les plus appropriés pour dialoguer avec ces musiciens
issus de cultures différentes, (ce qui ne l'empêche pas
de conserver des domaines qui lui sont propres tels que .l'harmonie
pourtant complètement extérieure à la musique africaine
comme à la musique indienne). D'un côté, des rythmes
de jazz, de blues, de musique contemporaine, batifolent avec des rythmes
africains dans un chassé croisé plein de vitalité,
dans l'ivresse de l'instant. De l'autre, c'est la rencontre de la frappe
et de l'étirement, dialogue entre deux solistes, où la
douceur écorchée du violon vient répondre aux mélodies
mélancoliques du piano jusqu'à toucher à quelque
chose qui relève d'un mystère, un instant d'éternité
presque mystique.
Pris entre le faux speed de l'Afrique, cette nonchalance déguisée
sous une vitalité débordante et le faux calme de l'Inde,
ce tigre tapis prêt à bondir, le piano de Jo Kaïat
nous rapporte des propos d'ici et d'ailleurs.
Avec ses partenaires maliens comme avec ses partenaires indiens, Jo
Kaïat se livre autant à un échange musicale, qu'à
un échange de rêverie. Il lui faut saisir l'ambiance d'un
lever du jour brumeux à Delhi pour jouer sur « Lalit »
(raggae de l'aurore), ressentir l'aridité de la nuit africaine
pour chanter sur « Koreduga » (chant traditionnel d'une
fête malienne où tout est permis, où on se déguise,
où on peut dire des blagues, où les choses s'inversent).
Pour Jo Kaïat tout est affaire de rencontres, de dialogues.
C'est d'ailleurs le titre d'un des morceaux du trio de Bamako dont la
composition découle d'un rythme guinéen très populaire
au Mali, le « dundunba ». Jo Kaïat tend constamment
des ponts entre différentes cultures: rapproche les gnawas, des
bambaras (qui ont une histoire commune) dans « Du Maroc au Mali»;
relie les accents mélancoliques de Satie à ceux de l'Inde
et ménage une place à ses influences orientales dans «
Lalit » et « Cur battant ». Mais il ne se contente
pas de trouver des liens entre sa culture et celle des autres, il passe
également son temps à trouver des liens entre son instrument
et celui des autres. Ainsi" dans « Dialogues », le
couple doum-doumdjembe ou bien le tabla avec ses deux flûtes,
un grave, un aigu, représentent pour lui la main gauche et la
main droite du piano, sans parler du balafon qui est son ancêtre.
Après ces multiples chemins, il nest pas surprenant que
la musique de Jo Kaïat exprime un authentique métissage.
Fanny Acollet
Warner-Erato